Remarques par le commissaire Moscovici lors du débat sur ‘Une fiscalité équitable pour une société juste’ au Parlement européen
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les députés,
Bonjour à toutes et tous,
Je suis très heureux de cette opportunité de débattre à nouveau ensemble sur un thème qui m’est très cher et qui nous est cher ensemble qui est la justice fiscale. Près de cinq années se sont écoulées depuis que nous sommes entrés en fonction et nous nous approchons de la fin de notre mandat, j’allais dire du mandat du Parlement comme de la Commission. Le temps des propositions s’achève et le moment est venu d’évaluer les progrès que nous avons réalisés pour la justice fiscale dans l’Union européenne.
J’aimerais commencer par remercier le Parlement européen – par vous remercier tous – pour votre soutien tout au long de ce mandat. Nos deux institutions sont devenues des alliés naturels dans le combat contre la fraude et l’optimisation fiscales. Nous avons très régulièrement échangé ici ou à Bruxelles, dans le cadre d’auditions de différentes Commissions spéciales – TAX et PANA – et les rapports que vous publiés ont nourri nos discussions et réflexions sur la justice fiscale.
Il était absolument impératif d’agir pour renforcer la justice fiscale dans l’Union européenne. Ces dernières années, les scandales à répétition ont révélé les carences de nos règles fiscales, visiblement incapables de lutter contre la fraude et l’optimisation fiscales. En plus du manque à gagner pour nos finances publiques, que l’on peut évaluer à 50 à 70 milliards par an dans l’Union européenne simplement pour la TVA, ces scandales ont fait naître un sentiment – bien légitime – d’injustice chez les citoyens européens qui nous ont demandé de réagir.
Nous ne sommes pas restés sourds à leur appel et nous avons inscrit la justice fiscale tout en haut de l’agenda européen. Nous vous avons placé, je crois, vraiment l’Union européenne à la pointe de ce combat. Depuis 2014, nous avons réussi à faire adopter 14 propositions dont 8 contre la fraude et l’optimisation fiscales, malgré le verrou de l’unanimité. C’est plus que ces vingt dernières années !
Notre action s’est articulée autour de 3 priorités. Le premier pilier de mon action pour la justice fiscale a été la transparence.
L’absence d’information est toujours, vous l’aurez noté, au cœur des scandales fiscaux. Les fraudeurs jouent de la culture du secret, de l’espèce de zone grise qui entourent les pratiques fiscales et j’ai donc agi pour mettre un terme à l’opacité fiscale en Europe.
Notre proposition la plus emblématique est sans doute l’obligation de transparence pour les intermédiaires fiscaux. Nous visons ici les banques, les cabinets d’avocats ou de conseil, qui sont souvent les grands architectes de l’optimisation fiscale et qui vendent à leurs clients des schémas fiscaux quelques fois aux frontières de la légalité.
Cette directive va obliger les intermédiaires fiscaux, à partir de 2020, à transmettre leurs schémas de planification fiscale à leurs administrations fiscales nationales. L’objectif n’est pas de surveiller pour punir mais de donner aux administrations fiscales les moyens d’identifier les failles de leur législation et de les corriger.
Ensuite, nous avons aboli le secret bancaire dans l’Union européenne. Les différents scandales fiscaux – je pense notamment aux dernières révélations dites CumEx – ont montré que certaines entreprises ou certains contribuables tiraient profit du manque de coordination entre administrations fiscales pour échapper à l’impôt. Et il fallait y remédier !
Dès 2014, nous avons donc généralisé l’échange d’informations entre administrations fiscales en Europe. Et il est désormais obligatoire et automatique dans la grande majorité des cas. Chaque Etat membre doit transmettre à tous les autres les informations indispensables sur les comptes, sur les accords fiscaux entre Etats et entreprises et sur les impôts payés par les multinationales dans chaque pays.
Enfin, la transparence passe par l’échange d’informations mais aussi par un dialogue renforcé entre les Etats membres sur leurs pratiques fiscales. Et vous le savez, le fait d’utiliser la fiscalité comme un moyen d’attraction des entreprises et des contribuables les plus nantis n’est pas l’apanage de quelques îles situées ici ou là. Certains pays de l’Union, disons-le, défendent un cadre fiscal dans lequel la concurrence fiscale est un outil au service de leur compétitivité et si la concurrence fiscale est légale, la concurrence déloyale, elle, ne l’est pas ou plutôt elle ne doit pas l’être !
Nous nous sommes attaqués frontalement à ce problème : en mars dernier, la Commission a pour la première fois identifié 7 pays membres dont les systèmes fiscaux sont utilisés dans le cadre de montages ou disons d’optimisation fiscale agressive. C’était un processus qui était difficile mais nécessaire. Entre amis il faut tout se dire. L’objectif n’est pas de punir, il n’est pas de stigmatiser mais de contribuer à la création d’un cadre fiscal qui soit juste et moderne, qui assure la compétitivité de l’Europe au niveau mondial tout en protégeant les intérêts des 500 millions de citoyens européens.
Le deuxième pilier de mon action pour la justice fiscale a été le renforcement de la coopération internationale.
Nous savons depuis longtemps que les paradis fiscaux dans le monde sont des relais indispensables de la fraude et de l’optimisation fiscales.
En réaction, les 28 ministres des Finances ont adopté pour la première fois une liste noire des paradis fiscaux dans le monde. Beaucoup étaient sceptiques, beaucoup doutaient tant de l’efficacité, même parfois de la sincérité de notre démarche. Pourtant, quelques mois après, il est clair que la voix européenne s’est fait entendre : la quasi-totalité des juridictions identifiées ont pris, et c’était ça l’objectif, des engagements précis et crédibles pour sortir de la liste noire. La qualité d’une liste noire ne se juge pas à sa longueur, elle se juge aux efforts faits pour ne pas y figurer et je continue avec les pays tiers la discussion. Je rencontre très régulièrement un nombre de premiers ministres et de ministres qui n’avaient jamais franchi la porte de la Commission, simplement parce que, allez, il redoute le processus de listing. Il est terriblement efficace et nous vous en présenterons les résultats en détail.
L’Union européenne s’est aussi imposée comme un leader mondial en matière de bonne gouvernance fiscale. Elle a été la première à adopter les mesures de l’OCDE qu’on appelle BEPS. Elle les a traduite dans sa législation dans les directives anti-évasion fiscale ATAD I et surtout ATAD II. Nous participons aux travaux de l’OCDE et du G20. Aujourd’hui, je m’intéresse particulièrement aux propositions du groupe de travail de l’OCDE – publiées fin janvier – concernant la révision des règles d’imposition des bénéfices et l’instauration, à laquelle je crois, d’un taux minimum effectif. Il faudra avancer sur ce sujet et nous devons suivre ces réflexions de très près !
Le troisième et dernier pilier de mon action pour la justice fiscale a été la modernisation des règles fiscales européennes.
J’ai très tôt réalisé que l’obsolescence des règles fiscales européennes engendrait des situations d’injustice, d’inégalité fiscale intolérables. J’ai donc lancé un grand chantier pour moderniser le cadre fiscal européen.
Les principaux volets de cette modernisation ont été: d’une part, le régime définitif de TVA qui pourrait permettre, je le redis, à 50 milliards de fraude fiscale transfrontalière par an de s’achever et qui simplifierait considérablement la vie de nos entreprises. D’autre part, l’assiette commune consolidé d’impôt des sociétés qui permettrait à nos entreprises d’opérer dans le marché unique aussi simplement qu’à l’intérieur d’un seul pays est aussi un très grand projet.
Un autre exemple parlant de ma proposition est de taxer les activités du numérique. Aujourd’hui, les bénéfices – pourtant énormes – des entreprises du numérique sont peu, voire pas du tout, taxés dans l’Union européenne. Cette situation est évidemment inacceptable !
J’ai donc présenté deux propositions pour garantir une fiscalité équitable de l’économique numérique dans l’Union européenne. La première, consiste à moderniser les règles relatives à l’impôt sur les sociétés en introduisant le concept dit de « présence numérique » et elle va prendre d’autant plus d’importance que l’OCDE est maintenant lancée sur la recherche de standards globaux. La seconde, consiste en l’instauration d’une taxe temporaire sur les chiffres d’affaire générés par certaines activités numériques dans l’Union.
Cela fait maintenant 10 mois que la proposition de la Commission est sur la table. Si nous sommes parvenus à convaincre une grande majorité d’Etats membres, 25 pays sur 28, une poignée de récalcitrants bloquent encore. Je le regrette. D’une part, parce que nos concitoyens souhaitent que l’on mette fin à cette injustice manifeste. D’autre part, parce que certains Etats membres – dont la France, l’Espagne ou encore le Royaume-Uni, le Royaume-Uni est toujours membre de l’Union européenne – commencent à avancer seuls et c’est un risque pour l’intégrité de notre marché unique.
Je termine par une considération d’avenir. Le dossier dit digitax illustre bien les limites de l’unanimité. J’espère que nous aurons un accord en mars, la présidence roumaine y travaille et je la remercie. Mais je sais que c’est compliqué. Si l’unanimité est surmontable quand il s’agit de réaction à des scandales fiscaux et lorsque la pression de l’opinion publique est forte, elle peut paralyser quand il s’agit de réformes structurelles: taxes de l’énergie, changement climatique, digitax, taxes sur les transactions financières, assiette commune consolidée, TVA.
Et c’est pour cela que j’ai proposé, ici même au Parlement européen de Strasbourg, le passage au vote à l’unanimité à la majorité qualifiée en matière fiscale – au moyen des clauses passerelles qui permettent de faire passer les domaines dans lesquels les décisions sont prises par les Etats membres à l’unanimité vers la majorité qualifiée.
Très concrètement:
Ça permettrait à l’Union européenne de réagir plus vite et plus efficacement.
Ca permettrait de renforcer la légitimité démocratique des décisions fiscales prises dans l’Union européenne. Demain, et soyez en conscients, Mesdames et Messieurs les parlementaires, si le passage au vote à la majorité qualifiée est décidé, le Parlement européen serait co-législateur et les intérêts de tous les Européens seraient mieux représentés. Ça me paraît important au moment où le désir de représentation et la soif de démocratie des Européens sont si forts. Et c’est la raison pour laquelle, je sais qu’il y a des élections européennes qui arrivent, je suggérerais modestement aux partis politiques de se pencher sur cette question. S’il y avait demain une majorité très large, ici, sur tous les bancs, pour réclamer ce passage, ça changerait la donne. Et certains ministres que j’ai vu hier à l’ECOFIN, très réticents, ne pourraient pas ne pas en tenir compte.
Enfin ça permettrait d’élargir le champ d’action de la politique fiscale en Europe. Nous pourrions poursuivre des objectifs sociaux plus large tels que la protection de l’environnement – au moyen d’une taxation des activités polluantes, où la régulation des marchés financiers – au moyen d’une taxation des transactions financières.
J’appelle le Parlement européen à s’emparer franchement de cette proposition, à faire vivre le débat, il ne va pas se conclure maintenant parce que c’est aussi un moyen pour cette institution de renforcer son autorité !
Voilà mesdames et messieurs les députés, et j’ose le dire chers amis,
La fiscalité est un instrument privilégié pour renforcer la justice dans l’Union européenne. Je regrette aujourd’hui que nous ne l’utilisions pas pleinement alors même que le besoin de justice est de plus en plus fort chez beaucoup d’Européens, à quatre mois d’élections dont nous savons tous l’importance, j’appelle les Etats membres à s’emparer de ces sujets pour envoyer un signal fort à nos concitoyens et les convaincre, si besoin était, d’avantage encore de l’utilité de l’Europe. Mais là nous avons un beau cas d’utilité de l’Europe. Sans Europe, on ne peut pas lutter contre la fraude et l’évasion fiscale et l’Europe a montré qu’elle pouvait être un instrument efficace en continuant dans cette direction et merci pour votre attention et votre soutien.