Madame la Présidente,
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Président du Parlement européen,
Chers amis en Grèce, et partout en Europe,
Je vous remercie infiniment de m’avoir invité à cette commémoration aujourd’hui.
C’est celle d’une double renaissance.
Votre adhésion à la Communauté européenne a représenté un retour au bercail pour les Grecs. Mais les autres Européens l’ont aussi vécue comme un retour à leurs origines.
L’Europe est née en Grèce.
Et je ne pense pas seulement à la princesse enlevée par Zeus sur la belle île de Crète, cette princesse qui a donné son nom à notre projet commun et à notre monnaie commune : l’Europe et l’euro.
“Le meilleur prophète du futur, c’est le passé”, a dit Byron.
Comme souvent chez les adolescents, l’un de mes professeurs a énormément compté pour moi: il enseignait le grec ancien et le latin. Il s’appelait Jean Lamotte.
Et si je le remercie aujourd’hui avec émotion, ici, à Athènes, c’est aussi la reconnaissance que j’exprime pour la place unique qu’occupe la Grèce classique: non seulement dans mon identité personnelle.
Mais aussi dans la formation de la conscience européenne.
C’est ce que me rappelle une figurine de Socrate que j’avais ramenée jeune homme de mon premier voyage ici, et qui n’a jamais depuis quitté ma bibliothèque: mon Socrate me rappelle chaque jour que la Grèce est le berceau de la raison, de la liberté et de la démocratie.
Et c’est aussi ce que voulait nous rappeler en 2003 le préambule au projet de Constitution pour l’Europe, préparée sous la direction de Valéry Giscard d’Estaing, qui avait signé votre traité d’adhésion.
Ce préambule commençait avec Thucydide, je cite:
“Notre Constitution… est appelée démocratie, parce que le pouvoir est entre les mains non d’une minorité, mais du plus grand nombre”.
C’est évidemment notre leçon numéro un: liberté et démocratie sont les fondements de notre projet européen.
Ce sont ces valeurs intangibles qui doivent guider notre action.
Et rien ne peut supplanter la raison dans les choix que nous, dirigeants politiques, posons au service de nos concitoyens.
Nous le voyons bien dans le monde aujourd’hui: la liberté, la démocratie et même la raison, 25 siècles après Socrate, doivent être au cœur de notre action.
La Grèce antique, nous l’associons d’abord à la pensée et à la démocratie.
Mais ce fut aussi les querelles interminables entre les cités, interrompues seulement par la trêve olympique, et qui finiront par avoir raison de la démocratie.
Mais l’inclination grecque à l’exercice de la pensée n’a pas tari.
L’auteur des Actes des Apôtres notait que lorsque (l’apôtre) Paul se rendit à Athènes,
“tous les Athéniens et les étrangers qui vivaient là, passaient leur temps à rien d’autre qu’à débattre et prêter oreille aux dernières idées”.
Le ton de l’auteur était désapprobateur.
Mais ce n’est pas le mien: débattre et écouter activement les arguments des autres, cela demande de la force et du courage.
Cela demande aussi beaucoup de patience et de respect mutuel.
C’est notre leçon numéro deux. Et elle m’inspire quotidiennement dans ma fonction de président du Conseil européen: le débat, qui commence en général par le désaccord, c’est l’intelligence collective en action.
Sans intelligence collective, pas d’unité possible. Sans unité, pas de projet commun.
C’est sans doute l’accomplissement le plus extraordinaire de l’Union européenne: que sommes-nous d’autre, sinon l’union de 27 cités qui, après s’être tragiquement querellées pendant des siècles, font et refont leur unité.
En se fortifiant à chaque débat pour maîtriser leur destin commun.
C’est laborieux – tu en sais quelque chose, mon cher Kyriakos. Mais si cela fonctionne, c’est parce qu’il y a autour de la table des dirigeants comme toi, qui allient raison et convictions, patience et détermination, sens du dialogue et volonté d’aboutir.
Et je t’en remercie du fond du cœur.
Privée de liberté, la civilisation grecque a traversé les siècles suivants. Elle a, par Rome, conquis l’Europe. La fragile idée démocratique a survécu… ailleurs. Elle s’est renforcée à partir de la Renaissance, qui permit à l’Europe de renaître une première fois à la Grèce.
Laquelle traversait des temps sombres et éprouvants. Jusqu’à ce que les idéaux démocratiques reviennent – avec Byron – inspirer les conquérants grecs de liberté, victorieux de leur indépendance.
En Grèce, comme en Europe, liberté et démocratie traversèrent encore bien des horreurs et des guerres, ne survivant souvent que dans les esprits idéalistes.
Nous avons, vous comme le reste de l’Europe, traversé le pire, avec la Première puis la Seconde Guerre.
Dont, à l’échelle du Continent, seule une poignée de pays ressortit durablement démocratique.
Vous-mêmes avez dû passer par une nouvelle épreuve: une dictature abjecte, synonyme de torture, de mort ou d’exil.
Certains d’entre vous l’ont connu personnellement. En Europe démocratique, nous avons compati. Mais avons-nous été à la hauteur de vos appels à l’aide ?
La dictature est tombée par la force des seuls Grecs. Et ce sont les Grecs eux-mêmes qui ont conquis leur droit à rejoindre la communauté des peuples libres et démocratiques d’Europe.
C’est notre leçon numéro trois. La liberté est une flamme fragile. Elle est parfois réduite à un brandon à peine incandescent.
Mais elle ne se consume jamais sans s’être transmise à d’autres. La liberté est une valeur inextinguible, car elle bat dans le cœur de chacun d’entre nous.
Depuis votre adhésion formelle à notre Europe commune qui avait toujours été la vôtre, vous avez connu les meilleures années de votre histoire. Elles vous ont définitivement mis sur le chemin de la paix et de la prospérité.
Non sans difficultés. Non sans controverses. Parce que la démocratie et la liberté, cela suppose aussi le pouvoir de dire “όχι” [non].
L’Europe est une construction qui se bâtit au fil des “non”, qu’il faut discuter pour les transcender en “oui” irréversibles.
Comme vous avez refait votre unité en transformant un “non” en un “oui” massif à l’euro et à l’Europe.
Comme l’Europe a maintenu son unité en redisant “oui” à la Grèce, restant à ses côtés lors des crises des dernières années.
C’est la leçon numéro quatre. L’Union européenne se construit et se fortifie au fil d’étapes – parfois de crises – où nous posons des actes irréversibles. La création du marché unique, de l’espace de libre circulation, de la monnaie unique…
Des créations qui n’ont pas été affaiblies, mais renforcées au fil des crises des dettes, de la crise migratoire… Et maintenant de la crise du COVID-19.
Celle-ci nous a amenés à prendre des décisions extrêmement fortes et inédites.
Elles amplifient nos instruments de solidarité et de convergence vers plus de prospérité, vers plus de cohésion.
Et vers un bien-être personnel et collectif, “au-delà du PIB”. Il devrait à mon sens être l’horizon du changement de paradigme de développement que nous avons entamé, avec les transitions climatique et numérique.
C’est, je le pense, le sujet central autour duquel nous devons, ensemble avec nos 450 millions de concitoyens, renouveler notre contrat social européen.
Voilà ce qui pourrait être l’exercice le plus essentiel de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
Elle sera un splendide hommage à la tradition de débat et de raison, que nous devons aux Helléniques.
L’intelligence collective en action.
L’Europe a été formée par la Grèce, comme la Grèce a été transformée par l’Europe.
Nous ne pouvons exister sans vous, comme vous ne voulez pas exister sans l’Europe.
C’est inspiré par ce lien puissant et indéfectible, et par notre confiance commune en notre capacité à aller vers un futur prometteur, que je suis heureux et fier de crier avec vous:
“ΕΛΛΑΔΑ,
ΕΥΡΩΠΗ,
ΔΗΜΟΚΡΑΤΙΑ,
ΕΛΕΥΘΕΡΙΑ!” *
*Grèce, Europe, Démocratie, Liberté
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