Discours de la Commissaire Gabriel à l’occasion de la clôture de la seconde journée du Forum européen du film

Monsieur le Ministre Franceschini,

Monsieur le Secrétaire d’Etat Gozi,

Monsieur le Président Baratta,

Mesdames et messieurs,

C’est un plaisir pour moi de clôturer ces deux jours de Forum du Film Européen.

Je suis extrêmement reconnaissante envers la Biennale, et son Président, M. Baratta, d’avoir œuvré au service de cette réalisation commune.

J’aimerais aussi exprimer ma gratitude à l’endroit du Ministre Franceschini et du Secrétaire d’Etat Gozzi pour leur présence et pour les perspectives qu’ils ont partagées au sujet de cette industrie inspirante, de son futur, et des meilleurs moyens pour la soutenir.

Permettez-moi aussi de remercier chaleureusement les intervenants et modérateurs, dont les discussions nous ont guidés au fil des aspects saillants du secteur, telles que les innovations en termes de technologie et de format, avec les débats tenus hier sur la Réalité Virtuelle, mais aussi les innovations en termes de politiques publiques, dans le contexte du débat, qui vient d’avoir lieu sur l’avenir du programme MEDIA.

C’est un réel privilège que d’accueillir vos positions sur ces sujets variés, dans le cadre du Forum. Je leur accorde la plus grande importance.

Introduction : La culture, le populisme et la démocratie

Si mon rôle aujourd’hui est de partager avec vous ma vision pour le futur de MEDIA, notamment au-delà de 2020 et de l’échéance du présent programme budgétaire. Cette vision se nourrit de la conviction que l’Europe et ses politiques doivent remettre le citoyen au centre de ses priorités économiques et sociétales. J’ai aussi la conviction que la création culturelle doit jouer un rôle central dans ce repositionnement politique autour des citoyens.

Pour cela, il importe de prendre un peu de recul.

L’industrie du cinéma, et la culture en général, ne vivent pas dans une Tour d’Ivoire. Bien au contraire, elles reflètent et évoluent au gré des défis rencontrés par nos sociétés.

Bien souvent, leur rôle a consisté à ouvrir la voie vers le progrès, la tolérance, l’acceptation et l’inclusion. La créativité et la liberté de cette industrie ont contribué, avec succès, à faire grandir la conscience sur certaines problématiques. La capacité inouïe du secteur cinématographique à raconter des histoires, au sens noble du terme, est particulièrement pertinente à cet égard.

Le film Mustang de Deniz Gamze Ergüven, soutenu par MEDIA, l’illustre bien sur le sujet de la condition des femmes dans les sociétés conservatrices. De la même manière, Moi, Daniel Blake de Ken Loach, également soutenu par MEDIA, dépeint avec une intensité sans précédent le tour insensé et inhumain que peuvent prendre les bureaucraties contemporaines.

Et puisqu’il est question de défis sociétaux, je suis convaincue que nous ne pouvons pas ignorer la montée des populismes et les risques inhérents pour nos sociétés.

Il semble, en effet, que la plupart des populistes sont guidés par des peurs ayant trait à la culture. Les inquiétudes de l’opinion publique au sujet des flux migratoires et de la question de l’intégration expriment, in fine, la peur de perdre son identité culturelle.

C’est la raison pour laquelle, je crois profondément que la culture apporte une réponse cruciale au populisme. Cultiver son jardin, implique de cultiver notre mémoire historique commune. Cela implique d’exposer le pouvoir à l’examen de l’opinion publique. Cela implique de mettre en exergue le facteur humain dans nos sociétés.

Dans cette perspective, le bon récit a le pouvoir de réveiller les consciences et d’affaiblir le populisme.

L’actuel programme MEDIA

C’est tout le sens du soutien de l’Union européenne au secteur audiovisuel, dont le principal instrument, comme vous le savez, est le programme MEDIA, qui est un des grand succès de l’Union européenne et qui montre que même dans un domaine qui relève d’abord de la compétence des Etats Membres, l’Europe peut être utile,  efficace et innovante.

Au cours des 26 dernières années, le programme Media a investi 2,4 milliards dans le secteur audiovisuel européen. Chaque année, MEDIA soutient environ 2 000 projets européens dont des films, des séries télévisées, des jeux vidéo, des programmes de formation, des cinémas et bien plus encore.

Au-delà des chiffres quantitatifs, le programme MEDIA porte également sur la qualité, comme l’attestent les nombreuses distinctions accordées à ces projets, et la présentation de 11 films à  cette 74ème édition du festival international du film de Venise, dont 5 sont en concurrence pour le prestigieux Leone D’Oro.

Mais le programme MEDIA est bien plus qu’un soutien financier. La valeur ajoutée de notre programme européen repose également sur l’esprit de coopération transnationale qui s’est développé et est reflété dans le succès de coproductions européennes dans les grands festivals de cinéma du monde, tels que La Mostra.

Les objectifs du programme sont tout autant pertinents.

En renforçant la diversité culturelle, le programme a pour but d’accroître la tolérance et la compréhension mutuelle. C’est le cas depuis le lancement du programme, il y a 26 de cela, et encore aujourd’hui.

La diversité culturelle s’est vue doublée d’un objectif économique, qui est d’accroître la compétitivité du secteur.

En effet, MEDIA a permis à différentes entités, originaires d’Etats membres différents, de créer de la valeur pour tout le secteur audiovisuel européen.

MEDIA a guidé l’industrie audiovisuelle vers une masse critique, notamment par l’incitation à développer des coproductions.

MEDIA a soutenu la diversité culturelle et linguistique en promouvant “le cinéma européen” comme un genre à part entière, mais aussi en suscitant un goût pour les contenus européens et en catalysant la distribution des films par-delà les frontières.

Enfin, en facilitant l’accès au crédit des petites entreprises culturelles et créatives, le programme, par le biais de sa garantie financière, a contribué à combler la pénurie de financement qui était estimée à 1 milliard d’euros par an entre 2014 et 2020.

Du point de vue des politiques publiques, MEDIA est aussi un outil crucial de l’achèvement du Marché unique numérique, qui est, comme vous le savez bien, l’une des priorités de la Commission.

Ce Marché Unique numérique européen comprend des mesures destinées aux petites et moyennes entreprises culturelles et créatives, comme l’amélioration de la circulation des contenus et la facilitation de la rencontre de ces contenus avec leur audience, au-delà des frontières.

En encourageant la circulation des films européens à l’international, MEDIA soutient l’accès aux contenus à travers les frontières et joue un rôle pivot dans la mise en œuvre des mesures accompagnant la réforme du droit d’auteur.

C’est aussi le complément des obligations de promotion et de proéminence, telles qu’édictées par la Directive sur les Services de Média Audiovisuels, qui est également en cours de révision. Cette révision vise à mieux lutter contre les contenus illégaux violents et d’appel à la haine, à responsabiliser les plateformes de partage de vidéos notamment pour protéger les mineurs en ligne. Notre proposition prévoit aussi un rôle renforcé des autorités de régulation de l’audiovisuel pour faire respecter ces règles, ainsi que le développement de la créativité européenne en obligeant les fournisseurs de services à la demande à garantir une part plus grande de contenus européens dans leurs catalogues et en permettant aux Etats membres de les faire contribuer financièrement à la production d’œuvres européennes.

Prendre du recul signifie que nous devons aussi regarder le programme MEDIA avec objectivité et prendre acte de ce qui n’est pas parfait, de ce qui peut être amélioré.

En premier lieu, je suppose que la plupart d’entre vous seront d’accord quant au fait que le budget de MEDIA est trop faible pour avoir un effet durable sur l’industrie audiovisuelle européenne. Si le champ du programme a crû au fil des années, il n’en demeure pas moins que cette évolution ne s’est pas traduite en termes budgétaires. Par voie de conséquence, les financements ont été trop fragmentés.

En second lieu, la flexibilité limitée du programme, qui a pu décourager certaines coopérations entre les maillons de la chaîne de valeur, constitue à mon sens une limite.

Enfin, une marge de progression se dégage quant à l’échelle pertinente des bénéficiaires pour soutenir leur développement sur le marché européen et au niveau global.

Le futur du programme MEDIA                                            

Evolution ne signifie pas révolution. Et je souhaite partager ici avec vous les grands axes de cette évolution qui me semble nécessaire.

Mettre l’accent sur l’audience et la diversité culturelle.

Le paysage audiovisuel est traversé de changements sans précédents. Nous avons bien entendu la formule selon laquelle, permettez-moi de la prononcer en anglais, “Content is king”. Dans ces conditions, il convient de réaliser que c’est l’audience, qui est reine. L’audience est tout à la fois la raison ultime de la beauté de cette industrie, de son succès et de son existence même.

Nous sommes riches de contenus européens d’une qualité unique, et nous appelons de nos vœux que l’audience la plus large possible puisse en bénéficier. Dès lors, la question cruciale aujourd’hui revient à se demander comment favoriser la rencontre de l’audience avec ces contenus, à l’heure où il est plus en plus difficile de capter l’attention du public dans un contexte d’incroyable abondance de contenus.

Poursuivre l’adaptation à la révolution numérique et au Marché Unique européen en la matière.

Le futur de l’Europe est façonné par la transformation digitale rencontrée par nos économies et nos sociétés. La culture et l’audiovisuel n’échappent pas à ces changements.

Je ne vous apprends rien en soulignant que l’industrie audiovisuelle est sujette à une transformation radicale et à bien des égards accélérée. La révolution digitale a bousculé les modèles économiques et les habitudes de consommation.  Si elle est bénéfique en ce qui concerne l’accès aux contenus et la conquête de nouvelles audiences, il n’en demeure pas moins qu’elle comporte de nombreux défis, notamment dans le domaine de la monétisation des contenus.

Je crois que MEDIA doit embrasser la révolution digitale d’une manière plus décisive, afin de maintenir l’exceptionnelle diversité de la création européenne et de l’étendre au niveau global. La numérisation peut nourrir un cercle vertueux de talents, d’accès élargi à la culture et aux œuvres créatives, d’entrepreneuriat et de nouvelles opportunités d’investissement, tout en assurant une juste rémunération des artistes.

Atteindre les citoyens.

La fierté que nous tirons du programme MEDIA dépasse, cependant, ces remarquables réussites industrielles. En fait, il s’agit certainement de l’une des actions européennes les plus efficaces dans le but d’atteindre et d’établir un lien à destination des citoyens.

A l’heure où les valeurs européennes sont trop souvent négligées voire même discréditées, MEDIA joue un rôle crucial dans le partage de notre identité commune d’Européens et dans le soutien à la diversité culturelle, qui en est le corollaire. Plus que jamais, nous voulons soutenir la création, la production et la distribution des contenus, pour qu’ils touchent les citoyens.

Je suis convaincue que la proximité entre MEDIA et les citoyens est un atout majeur du programme, qu’il incombe de préserver et encourager.

Sécuriser un budget suffisant

Le programme MEDIA, comme tous les autres programmes européens sera soumis à un examen approfondi dans le cadre des discussions budgétaires à venir.

Voyons les choses en face: le climat politique actuel couplé à de nouveaux défis, tel que le Brexit, devrait amener d’âpres négociations quant au maintien de ressources appropriées pour MEDIA.

Comme disait Talleyrand, ce qui va sans dire, va encore mieux en le disant. Je m’engage donc devant vous, personnellement et pour mon équipe, à mettre tous les moyens en œuvre pour obtenir la meilleure enveloppe budgétaire possible pour MEDIA, dans le cadre des perspectives financières multi-annuelles.

Mais à cet égard, nous avons aussi besoin de votre soutien pour que nos arguments soient les meilleurs et ainsi mettre en avant nos réussites passées ou actuelles. Il est capital d’établir aux yeux de tous les acteurs engagés dans ces négociations que MEDIA est un instrument indispensable pour l’industrie et que la valeur ajoutée européenne du programme est manifeste.

Plus de flexibilité et de coopération entre les maillons de la chaîne de valeur

Mais les aspects budgétaires ne sont que l’une des facettes du débat quant au futur de MEDIA. J’anticipe le besoin impérieux de renforcer la coopération et de créer des synergies entre les différents silos de l’industrie d’une part, mais aussi entre les autorités publiques d’autre part.

Dans le climat actuel, l’efficacité de nos actions sera cruciale, ce qui implique que nous devrions dans le futur faire beaucoup mieux avec des moyens limités. A cet égard, l’alignement et la complémentarité des ressources nationales et européennes n’est plus une option, mais une nécessité.

Pris isolément, aucun acteur, pas plus qu’aucune industrie ou réalité nationale, ne peut surmonter avec succès ces changements et la concurrence au niveau global. Si l’isolement est un récit tentant pour certains, il n’en demeure pas moins intenable dans le présent contexte. C’est la raison pour laquelle, j’appelle de mes vœux que vous vous engagiez dans des coopérations améliorées dans cet environnement de défis.

Bien sûr, il s’agit là de mes premières idées, le dialogue doit continuer voire s’intensifier et votre retour me sera très utile. Je compte sur vous autant que vous pouvez compter sur moi.

Je suis avide de vos conseils. Comment la diversité unique des films européens peut-elle nous amener à discuter ensemble des défis communs dans nos sociétés ? Comment cela peut-il contribuer au développement d’une identité européenne ? Quelles sont les actions concrètes à mener ?

Conclusion

Pour finir, j’aimerais m’inscrire dans les traces du grand cinéaste Robert Wise, qui avait pour habitude de mettre ce qu’il appelait “les trois P” au cœur de sa démarche artistique. Ces trois P sont la passion, la patience et la persévérance.

Soyez assurés que c’est dans cet esprit, que je prends mes responsabilités de Commissaire pour l’économie et la société numériques. Mon engagement personnel indéfectible prendra sa source dans ma passion pour l’Europe de la culture. La patience sera la clé du succès dans les négociations budgétaires à venir. Enfin, rien ne pourra être durable et définitif sans persévérance, qui est le carburant de toute décision politique.  

Je veux conclure en rappelant un point clé : la créativité artistique promeut les valeurs humaines sur lesquelles reposent les démocraties, en touchant l’universel à partir du singulier. Ce que Malraux appelle “être pour tous les hommes”. Elle fait qu’une œuvre singulière touche tous les hommes, est dépassement de soi, force qui renforce le lien d’humanité sans cesse distendu par les individualités. Elle contribue donc à créer les conditions d’une société cohésive, d’une collectivité qui, sans abolir les individus ni les particularités, génère une conscience universelle, une ouverture à l’autre, voire une unanimité.

En faisant le récit d’histoires inspirantes, en révélant ce qu’il y a d’universel dans les histoires individuelles en soutenant la diversité culturelle, et en construisant des ponts par-delà les frontières nationales, linguistiques et culturelles, vous établissez justement les fondations d’une Europe plus ouverte, plus tolérante, et par là-même plus résiliente aux sirènes du populisme et aux attaques extérieures liés à un contexte géopolitique de plus en plus conflictuel. Vous vivez et encouragez la création. Vous donnez force aux passions et aux idées. Et je vous en sais infiniment gré !

Je vous remercie pour votre attention.