Discours de Federica Mogherini à l’Université d’Alger III, lors des célébrations des 30 ans d’Erasmus
Seul le texte prononcé fait foi!
Merci beaucoup et je voudrais vraiment commencer par vous remercier pour l’hospitalité; car c’est ma deuxième visite ici en Algérie et c’est la première fois que je suis à l’Université. C’est vraiment pour moi un plaisir spécial d’être ici et j’aimerais vraiment vous remercier et aussi m’excuser pour le retard; j’ai eu une très bonne et très longue rencontre avec le Premier Ministre [Abdelmalek Sellal] et c’est pour cela que je commence avec un peu de retard et je vous remercie de votre patience et de m’avoir attendue.
Chers Ministres, Excellences, Messieurs et Mesdames les ambassadeurs, mais surtout chers étudiants,
Pour moi c’est vraiment un plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui, surtout les étudiants, tant de jeunes visages de ce pays. Sans vouloir minimiser l’importance de mes réunions officielles qui sont très importantes, surtout dans un moment crucial des relations de partenariat entre l’Union européenne et l’Algérie qui est en train de beaucoup s’intensifier; mais mes rencontres avec les jeunes constituent toujours la partie la plus stimulante de mes visites et de mes déplacements à l’étranger.
Il est d’autant plus important de parler avec vous aujourd’hui que nous vivons des temps particulièrement difficiles dans notre région, surtout marqués, souvent – trop souvent –par la violence et l’absence de dialogue et de recherche d’un terrain commun. L’absence de dialogue, l’absence de cet engagement pour chercher un terrain commun semblent parfois ouvrir la porte à une situation où les armes prédominent sur la force de la politique et de la diplomatie. Je sais que beaucoup d’entre vous ont étudié les sciences politiques et je sais combien vous attachez de l’importance à la recherche du dialogue et des solutions politiques aux crises et je suis bien sûr prête à en discuter pendant notre échange dans quelques minutes.
Je pense que nous avons ensemble la responsabilité de veiller à ce que ce ne soit pas le cas et que le langage des armes ne prédomine pas sur la force de la politique, sur la force de la diplomatie. Les institutions ont aussi une responsabilité de ce côté-là, mais aussi les citoyens, les opinions publiques, les jeunes, à partir des étudiants : vous êtes le moteur, l’espoir de la société, du changement, de l’implication active dans la recherche de solutions.
C’est aussi pour cette raison que l’Union européenne a toujours décidé d’investir beaucoup dans la jeunesse – les jeunes européens mais aussi les jeunes des pays de notre région. Je dis notre région parce que la Méditerranée est notre région partagée.
C’est clé pour nous de travailler ensemble et nous le faisons aussi par le programme Erasmus, que beaucoup considèrent comme le programme le plus efficace, comme le programme avec le plus de succès de l’Union européenne. Et cette année, comme on le dit très correctement, nous célébrons les trente ans du programme Erasmus.
Je voudrais partager avec vous mon expérience d’étudiante Erasmus, car j’ai eu la possibilité d’écrire ma thèse dans une autre université, en France et non pas en Italie; je voulais étudier les rapports entre religion et politique dans l’Islam. A cette époque-là, ce n’était pas forcément facile de trouver le matériel pour étudier cela en Europe – j’ai fait ma thèse en France et Erasmus m’a donné la possibilité d’étudier ce que je voulais étudier et cela m’a beaucoup aidée pour la suite et encore aujourd’hui ; je pense que c’est une base utile pour mon travail.
Mais ce n’était pas seulement une expérience utile pour mes études et pour mon travail après. C’était pour moi les premiers pas vers mon indépendance, une grande école de responsabilité et d’autonomie – c’est quelque chose qui n’est pas facile pour les jeunes hommes et femmes dans nos sociétés.
C’est aussi une grande école de citoyenneté – citoyenneté européenne pour les étudiants européens qui font le programme mais aussi de citoyenneté régionale et globale. Personnellement, j’ai appris pendant mon Erasmus à connaître, accepter et à respecter les autres, chacun avec sa diversité. Je trouve que vivre ensemble, échanger, étudier ensemble est une grande école de vie, d’ouverture, de dialogue, et de respect.
Aujourd’hui, le programme « Erasmus plus » offre une ouverture encore plus grande avec la possibilité d’échanges non seulement entre pays de l’Union européenne mais aussi entre les deux rives de la Méditerranée. Et entre 2015 et 2016, près de 680 étudiants algériens ont fait leur Erasmus en Europe. Je pense que c’est la meilleure façon d’investir dans les relations et le partenariat entre l’Union européenne et l’Algérie.
Aussi, de nombreux professeurs algériens sont venus pour enseigner dans des universités européennes. Je pense que établir ces liens forts entre nos universités à partir des jeunes est vraiment le meilleur investissement que l’on puisse faire.
« Erasmus plus », c’est donc une occasion incroyable pour les jeunes du même âge et de différentes cultures d’apprendre à se connaître et découvrir – comme c’est souvent le cas – qu’ils ont beaucoup de choses en commun – plus qu’on ne l’imagine.
Et permettez-moi dans ce contexte de vous parler aussi d’une autre expérience beaucoup plus récente que j’ai faite. Le mois dernier, j’ai invité à Bruxelles trente-cinq jeunes hommes et femmes européens et arabes, actifs dans leurs communautés respectives de différentes façons, pour deux jours de rencontres – entre eux mais aussi avec moi. Quatre d’entre eux étaient d’ailleurs algériens. Et même s’ils venaient de pays différents, de cultures différentes, d’horizons différents, ils se sont rendus compte qu’ils partagent les mêmes espoirs, les mêmes angoisses, et les mêmes problèmes. Et ils ont commencé à discuter entre eux de comment rechercher des solutions qui peuvent marcher dans des situations et contextes différents. Parfois, les réponses à ces problèmes sont similaires, sinon identiques.
Dans notre échange, nous avons beaucoup parlé dans ce contexte de l’éducation, de l’emploi, et de comment faire en sorte qu’il y ait plus de liens entre le système éducatif et le monde du travail. Et je sais très bien qu’ici en Algérie c’est un débat très important, un débat public, un débat politique, un débat j’imagine aussi dans le monde universitaire.
Et, je voudrais prendre ce moment pour partager avec vous le fait que l’Union européenne travaille très étroitement avec les autorités algériennes pour améliorer deux questions parallèles: premièrement, l’adéquation de la formation au monde du travail, et deuxièmement la création d’emplois qualifiés. Je sais très bien – j’ai vu les chiffres – que le nombre de jeunes diplômés qui sont au chômage dans ce pays mais aussi dans notre région est très important. Pour l’Union européenne c’est prioritaire de travailler avec les institutions algériennes pour avoir une réponse à ces problèmes énormes et garantir un travail de qualité pour les jeunes qui sortent de parcours et formations universitaires.
L’Union européenne soutient aussi des projets d’enseignement informel entre organisations de jeunesse européennes et algériennes. 326 jeunes algériens – éducateurs et volontaires – y ont participé.
Nous travaillons également – et je pense que cela est très important pour vous dans cette salle – pour soutenir les jeunes entrepreneurs ici en Algérie et dans la région, surtout sur la modernisation et la gestion des petites entreprises. Vous savez que c’est une expérience qui en Europe apporte beaucoup de travail, surtout pour les jeunes femmes, et je pense que la Méditerranée est un bon endroit pour développer des petites – parfois très petites – entreprises pour donner aux jeunes les instruments pour leur activité mais aussi l’innovation dans leur société.
Il n’existe pas de recette miracle, cela est clair. Mais il est très important que, dans ce travail, il y ait un échange continu avec vous, avec les jeunes, parce que c’est vous qui bénéficierez de ces projets.
Ici, dans cette partie du monde, près des deux tiers de la population ont moins de trente ans. Aucune politique ne peut être efficace si elle ne prend pas en considération la jeunesse ; s’il n’y a pas d’écoute, ni de participation active de votre part.
Plusieurs d’entre vous vous êtes impliqués dans la société civile; vous faites des études, et je dis toujours que parfois on a des experts – c’est bien d’avoir des experts mais parfois on oublie que vous connaissez beaucoup plus que beaucoup d’experts parce que vous vivez à la première personne les dynamiques sociales, culturelles et économiques. Cela vous rend les experts les plus experts du contexte.
Alors il ne s’agit pas seulement de vous écouter: il s’agit de vous écouter – je vais le faire dans une minute – mais il s’agit aussi d’aller dire un message. Écouter ne suffit pas. Il faut aussi travailler ensemble pour traduire vos propositions en projets concrets, ouvrir des espaces de participation pour la jeunesse dans le processus de décision et des propositions des politiques qui puissent amener des solutions aux problèmes auxquels vous faites face, les jeunes.
Ce qui compte finalement c’est votre engagement et votre détermination et aussi l’engagement et la détermination du côté institutionnel à ouvrir ces espaces de participation réelle. Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de la construction européenne – et je voudrais souligner qu’il y a des pères fondateurs de la construction européenne mais il y a aussi des mères fondatrices de la construction européenne, on l’oublie parfois mais elles sont là, dans l’histoire européenne comme elles sont là dans l’histoire de nos sociétés autour de la Méditerranée-, Jean Monnet disait “Je ne suis pas optimiste. Je suis déterminé!” Et je pense que c’est cela qui compte, avoir cette détermination, cette clarté, le sens de la direction que l’on veut prendre.
Et je veux dire ici, à vous, étudiants et chercheurs, jeunes hommes et femmes, que nous avons tous besoin d’une jeunesse engagée et citoyenne. Je pense que c’est dans l’intérêt de cette démocratie, c’est dans l’intérêt de toute notre région d’avoir ce dynamisme de votre génération.
Vous avez déjà une responsabilité politique et sociétale qui est clé. Quand j’avais votre âge, personnellement je détestais ceux qui me disaient « Vous êtes le futur » ; parce que vous êtes aussi le présent, soit de ce pays, soit de cette société, et aussi en Europe les jeunes sont le présent, pas seulement le futur de notre société. 60% de la population de ce pays, de la région, est jeune, alors c’est clair que vous êtes aussi le présent.
Votre engagement est nécessaire ici et maintenant; pas demain et ailleurs. Nous avons tous besoin de votre intelligence, de votre énergie, de votre force de proposition active et constructive. Une société civile active peut apporter une contribution d’une incroyable richesse au système du pays, au système régional et aussi dans le dialogue avec l’Union européenne.
Une société civile active, mais surtout une jeunesse active et citoyenne est une alliée de la démocratie, un groupe pour identifier, prévenir et lutter contre le radicalisme de certains courants d’idées.
Il n’y a pas d’âge pour s’engager pour son pays, pour ses convictions. Nous avons besoin d’échanges, de votre intelligence, de l’énergie, de la détermination, comme Jean Monnet le disait, mais aussi de l’imagination et de l’ouverture d’esprit que la jeunesse peut partager avec le reste de la société.
Je suis sûre que je peux compter et nous pouvons tous compter sur votre aide, comme « jeunes voix de la Méditerranée ». Je sais que parfois l’approche est différente, ce sont les institutions qui aident la jeunesse ; je pense qu’on a besoin maintenant que ce soit la jeunesse pour aider les institutions à trouver la bonne voix, la bonne recette – les bonnes recettes- pour trouver des réponses aux défis que ce soit économiques, sociaux mais aussi culturels parfois, auxquels nos sociétés font face.
Je vous remercie beaucoup pour votre attention, pour votre patience et maintenant je me mets à l‘écoute, je sais qu’on va avoir un échange. Pour moi cela va être un plaisir de répondre à vos questions ; mais surtout si je peux partager cela avec vous, pour moi cela va être très précieux de vous écouter, alors n’hésitez pas, à pas seulement poser des questions mais aussi à faire des propositions, des commentaires pour lesquels je peux prendre note pour le suivi de mon travail et de notre travail dans le partenariat entre l’Algérie et l’Union européenne.
Je vous remercie beaucoup et je vous souhaite le meilleur.